Tribunal administratif de Paris
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 9 juillet 2023, complétée par des mémoires enregistrés les 25 janvier, 10 septembre 2024 et 22 avril 2025, M. F W, représenté par Me Trennec, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d’annuler l’arrêté du ministre de l’intérieur portant tableau d’avancement au grade de commandant de la police nationale au titre de l’année 2023 ;
2°) d’annuler les décisions de nomination au grade de commandant de police au titre de l’année 2023, prises sur le fondement du tableau d’avancement, notamment les décisions individuelles de M. D E, M. G N, M. AA I, Mme Y V, M. P Q, M. O B, M. R J, Mme X AC, M. T C, M. A K, M. AA U, M. M L, M. S Z et Mme AB H.
3°) d’enjoindre au ministre de l’intérieur d’examiner de nouveau sa candidature, et ce dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 3000 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que le tableau attaqué :
— n’a pas été précédé d’un examen approfondi de la valeur professionnelle et des acquis de l’expérience professionnelle des candidats ;
—a été établi par ordre alphabétique alors que l’avancement est uniquement subordonné au mérite et à la valeur professionnelle ;
—est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation dès lors qu’il justifie d’une ancienneté plus ancienne que les candidats inscrits et de mérites professionnels également supérieurs.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 janvier 2025, le ministre de l’intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que :
— la requête est irrecevable
— à titre subsidiaire, les moyens soulevés par M. W ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu:
— le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience. Ont été entendus au cours de l’audience publique :
— le rapport de M. Feghouli,
— les conclusions de Mme Nikolic, rapporteure publique. Considérant ce qui suit :
1. M. W, est titulaire du grade de capitaine de police depuis le 1er août 2008. Affecté antérieurement à la division économique et financière de la direction régionale de la police judiciaire d’Ajaccio, il exerce depuis 2021, les fonctions de responsable d’enquête patrimoniale et de lutte contre l’économie souterraine. Le 26 janvier 2023, M. W a présenté sa candidature pour l’avancement au grade de commandant de police au titre de l’année 2023. Par un arrêté du 5 septembre 2023, le ministre de l’intérieur a fixé le tableau d’avancement pour l’accès au grade de commandant de police au titre de l’année 2023 et a promu à ce grade les agents concernés. Par la présente requête, M. W demande au tribunal d’annuler ce tableau d’avancement au grade de commandant de police, sur lequel il n’est pas inscrit, ainsi que les nominations dans le grade de commandant de police consécutives, notamment celle de M. D E, M. G N, M. AA I, Mme Y V, M. P Q, M. O B, M. R J, Mme X AC, M. T C, M. A K, M. AA U, M. M L, M. S Z et Mme AB H.
Sur les fins de non-recevoir soulevée en défense :
2. Contrairement à ce que soutient le ministre, par la présente requête M. W demande d’une part, l’annulation du tableau d’avancement contesté et des décisions individuelles de nomination des agents promus et pas seulement en tant que son nom n’y figure pas, d’autre part le réexamen de sa situation. Par suite, les fins de non-recevoir soulevées en défense ne peuvent qu’être rejetées.
Sur les conclusions à fin d’annulation :
3. En premier lieu, aux termes de l’article L. 522-4 du code général de la fonction publique : «L’avancement de grade a lieu de façon continue d’un grade au grade immédiatement supérieur. Il peut être dérogé à cette règle lorsque l’avancement est subordonné à une sélection professionnelle». L’article L. 522-18 du même code dispose que «L’avancement de grade a lieu, sauf pour les emplois laissés à la décision du Gouvernement, selon les proportions définies par les statuts particuliers des corps ou cadres d’emplois, suivant l’une ou plusieurs des modalités ci-après : 1° Au choix, par voie d’inscription à un tableau annuel d’avancement, établi par appréciation de la valeur professionnelle et des acquis de l’expérience professionnelle des fonctionnaires. Sans renoncer à son pouvoir d’appréciation, l’autorité chargée d’établir le tableau annuel d’avancement tient compte des lignes directrices de gestion prévues au chapitre III du titre Ier du livre IV. Il est tenu compte de la situation respective des femmes et des hommes dans les corps et grades concernés, dans le cadre des lignes directrices de gestion prévues au chapitre III du titre Ier du livre IV. Le tableau annuel d’avancement précise la part respective des femmes et des hommes dans le vivier des agents promouvables et celle parmi les fonctionnaires inscrits à ce tableau qui sont susceptibles d’être promus en exécution de celui-ci ()». Aux termes de l’article L. 522-19 de ce code : «Les décrets portant statut particulier des corps de la fonction publique de l’Etat fixent les principes et les modalités de nomination au grade d’avancement, notamment les conditions de grade et d’échelon requises pour participer à la sélection professionnelle. ».
4. En second lieu, aux termes de l’article 17 du décret n° 95-654 du 9 mai 1995 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale : «Pour l’établissement du tableau d’avancement de grade qui est soumis à l’avis des commissions administratives paritaires, il est procédé à un examen approfondi de la valeur professionnelle des agents susceptibles d’être promus compte tenu des notes obtenues par les intéressés, des propositions motivées formulées par les chefs de service et de l’appréciation portée sur leur manière de servir. Cette appréciation prend en compte les difficultés des emplois occupés et les responsabilités particulières qui s’y attachent ainsi que, le cas échéant, les actions de formation continue suivies ou dispensées par le fonctionnaire et l’ancienneté.». En outre, en vertu de l’article 15 du décret n° 2005-716 du 29 juin 2005 portant statut particulier du corps de commandement de la police nationale : « Peuvent être nommés au grade de commandant de police au choix, par voie d’inscription sur un tableau annuel d’avancement, après avis de la commission administrative paritaire, les capitaines de police qui comptent au moins douze ans de services effectifs depuis leur titularisation dans le corps de commandement de la police nationale, et qui remplissent les conditions suivantes : 1° Avoir satisfait dans le grade de capitaine à une obligation de deux mobilités géographique ou fonctionnelle. Toutefois, la seconde mobilité peut être accomplie à l’occasion de la nomination dans le grade de commandant et 2° Avoir satisfait dans le grade de capitaine, après leur inscription au tableau annuel d’avancement au grade de commandant, à une obligation de formation professionnelle dont la durée ne saurait excéder six semaines et dont le contenu et les modalités sont fixés par arrêté conjoint du ministre de l’intérieur et du ministre chargé de la fonction publique ».
5. M. W soutient que les agents dont le nom figure au tableau d’avancement contesté n’ont pas été inscrits par ordre de mérite mais par ordre alphabétique.
6. Il ressort en effet des pièces du dossier que l’arrêté du ministre de l’intérieur portant tableau d’avancement au grade de commandant de la police nationale au titre de l’année 2023 présente les candidats promus par ordre alphabétique et non par ordre de mérite comme le stipulent les dispositions précitées qui subordonnent la promotion des agents au seul critère du mérite et de la valeur professionnelle. Par suite, le requérant est fondé à soutenir que ledit tableau d’avancement est, pour ce motif, illégal.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que l’arrêté relatif au tableau d’avancement au grade de commandant de police au titre de l’année 2023 doit être annulé.
En ce qui concerne les conclusions dirigées contre les décisions individuelles de nomination au grade de commandant de police au titre de l’année 2023 :
8. Le présent jugement annule le tableau d’avancement au grade de commandant de police au titre de l’année 2023. Dès lors, l’ensemble des mesures individuelles de nomination intervenues en exécution de ce tableau et qui ne sont pas devenues définitives doivent être annulées par voie de conséquence. Il suit de là que les nominations de M. D E, M. G N, M. AA I, Mme Y V, M. P Q, M. O B, M. R J, Mme X AC, M. T C, M. A K, M. AA U, M. M L, M. S Z et Mme AB H, qui ont été contestées dans le délai de recours contentieux et ne sont donc pas devenues définitives, doivent être annulées.
Sur les conclusions à fin d’injonction :
9. Eu égard au motif d’annulation retenu, le présent jugement implique seulement, par application des dispositions de l’article L. 911-2 du code de justice administrative, que le ministre de l’intérieur reprenne les opérations de nomination dans le grade de commandant de police au titre de l’année 2023, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement.
Sur les frais liés au litige :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat le versement à M. W d’une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DECIDE:
Article 1er : L’arrêté du ministre de l’intérieur relatif au tableau d’avancement au grade de commandant de police au titre de l’année 2023 est annulé.
Article 2 : Les décisions portant nomination dans ce grade de M. D E, M. G N, M. AA I, Mme Y V, M. P Q, M. O B, M. R J, Mme X AC, M. T C, M. A K, M. AA U, M. M L, M. S Z et Mme AB H, sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l’intérieur de reprendre les opérations de nomination dans le grade commandant de police au titre de l’année 2023, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 4 : L’Etat versera à M. W la somme de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. F W, au ministre d’Etat, ministre de l’intérieur et à M. D E, M. G N, M. AA I, Mme Y V, M. P Q, M. O B, M. R J, Mme X AC, M. T C, M. A K, M. AA U, M. M L, M. S Z et Mme AB H.
Délibéré après l’audience du 12 juin 2025, à laquelle siégeaient : M. Gros, président,
M. Feghouli, premier conseiller,
M. Rebellato, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 juin 2025. Le rapporteur, Le président,
Signé Signé
M. FEGHOULI M. GROS
La greffière, Signé
C. CHAKELIAN
La République mande et ordonne au ministre d’Etat, ministre de l’intérieur, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.